L’intérêt d’organiser les rapports entre associés dans un pacte plutôt que dans les statuts

L’insertion dans un pacte d’actionnaires de certaines clauses organisant les rapports entre associés répond à diverses préoccupations

L’insertion dans un pacte d’actionnaires de certaines clauses organisant les rapports entre associés répond à diverses préoccupations : notamment, cibler les intérêts des parties en présence, éviter la publicité des engagements souscrits, s’affranchir des contraintes légales.

Les pactes d’associés ou d’actionnaires prévoient fré­quemment des clauses qui pourraient figurer dans les statuts de la société dont les parties au pacte sont associés : droit de préemption sur les parts ou actions de celle-ci, inaliénabilité de ces parts ou actions, etc.

L’insertion de ces clauses dans un pacte plutôt que dans les statuts s’explique par les avantages que pré­sente le pacte.

 

Les effets du pacte sont limités

Alors que les statuts s’appliquent à tous les associés, les clauses du pacte s’appliquent aux seuls associés qui y sont parties. Cette limitation résulte du principe de l’effet relatif des contrats (C. civ. art. 1199). En vertu de ce principe, le pacte ne s’impose qu’aux seuls signataires et il est inopposable aux autres associés.

Rappelons néanmoins que ce principe n’interdit pas à un associé non signataire, comme à tout autre tiers, de se prévaloir du pacte (voir C. civ. art. 1200, al. 2) et, notamment, d’invoquer un manquement au pacte lorsque celui-ci lui a causé un dommage (notamment, Cass. com. 6-3-2007 n° 04-13.689, en matière de licence de marque).

 

Le pacte permet de prévoir des clauses adaptées aux intérêts de chacun

Les pactes sont souvent conclus entre deux groupes d’associés aux intérêts divergents ; par exemple à l’occasion d’une opération de LBO (rachat d’entre­prise avec effet de levier), les « managers », d’une part (dirigeants sociaux et, éventuellement, cadres salariés de la société), et un ou plusieurs « investis­seurs » entrant au capital, d’autre part.

Dans ce cas de figure, la durée du pacte est fixée en fonction de l’horizon d’investissement du second groupe, qui cor­respond à la durée à l’issue de laquelle ses membres espèrent rétrocéder au meilleur prix leur participation aux managers ou la revendre à un tiers avec une plus-value.

Les clauses d’un tel pacte tendent à donner une cer­taine liberté de gestion aux managers tout en sécu­risant la position des investisseurs tant qu’ils restent associés. Ce qui peut, dans certaines start-up, se tra­duire par l’insertion d’une clause de cession anticipée des droits de propriété industrielle ou intellectuelle : par cette clause, certains des fondateurs ou « mana­gers » s’engagent à céder par avance à la société les droits de propriété industrielle ou intellectuelle portant sur les créations qu’ils développeraient dans le cadre de l’activité sociale.

La clause peut valablement priver les créateurs de toute rémunération ou indemnité au titre de la cession.

Les orientations générales et les déclarations des parties contenues, le cas échéant, dans le préambule du pacte ne font pas échec à la mise en oeuvre de ces promesses, dont les managers ne peuvent pas se plaindre en invoquant les termes du préambule.

Ainsi a-t-il été jugé dans une affaire où un président de société par actions simplifiée détenant une parti­cipation minoritaire dans le capital social avait conclu avec l’associé majoritaire (un investisseur) un pacte par lequel il s’engageait à lui céder sa participation en cas de cessation de ses fonctions ; après sa révo­cation, le président avait fait valoir que l’exécution de cette promesse n’était pas conforme à la commune intention des parties exprimée dans le préambule, aux termes duquel l’objet du partenariat au sein de la société était de favoriser son développement et la valorisation de l’investissement des parties à moyen terme, dans le respect de l’indépendance et de la cohérence de la société, sans cession ou déman­tèlement à court terme ; les juges ont considéré au contraire que le préambule, qui rappelait l’objectif des associés et leur souci de cohésion jusqu’à la réali­sation de leur participation à moyen terme, ne s’op­posait pas à l’application des clauses claires qui le suivaient et qui avaient vocation à régir concrètement les relations entre les parties pendant la durée du partenariat (CA Paris 29-9-2016 n° 15/07864).

 

La discrétion assurée… tant que la société n’est pas cotée

Contrairement aux statuts, qui doivent être déposés au registre du commerce et des sociétés, les pactes d’actionnaires n’ont pas à être publiés, ce qui en assure la discrétion.

Les parties peuvent même déclarer que le pacte a un caractère confidentiel et s’interdire d’en divulguer le contenu, sauf accord exprès de chacune d’elles. Elles peuvent également se porter fort du respect de cette confidentialité par des tiers au pacte (leurs salariés et prestataires de services en particulier). La clause de confidentialité peut concerner l’existence même du pacte ou certaines de ses dispositions seulement. Elle peut aussi viser les informations dont les parties ont eu connaissance à l’occasion de la négociation ou de la conclusion du pacte, comme au cours de son exécution.

Le caractère discret, voire secret, du pacte présente un inconvénient lorsque celui-ci comporte une clause de préemption au profit de l’un des signataires. En effet, en cas de violation de la clause, ce dernier ne peut demander en justice à être substitué au tiers acquéreur dans l’exécution du contrat que si le tiers a eu connaissance de l’existence de la clause et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir (C. civ. art. 1123, al. 2) ; or, la discrétion entourant le pacte ne facilite pas la preuve de cette connaissance.

L’absence de publicité du pacte est écartée lorsque les titres de la société sont admis sur Euronext. En effet, toute clause prévoyant des conditions préféren­tielles de cession ou d’acquisition d’actions admises aux négociations sur un marché réglementé et por­tant sur au moins 0,5 % du capital ou des droits de vote de la société qui a émis ces actions doit être communiquée à la société et à l’Autorité des marchés financiers (AMF) (C. com. art. L 233-11, al. 1), laquelle porte cette clause à la connaissance du public (Règl. gén. AMF art. 223-18).

En outre, en cas d’OPA, toute clause d’accord conclu par les personnes concernées par l’offre ou leurs actionnaires susceptible d’avoir une incidence sur l’appréciation de l’offre ou son issue doit être portée à la connaissance des personnes concernées par l’offre, de l’AMF et du public ; si, à raison notamment de la date de conclusion de l’accord, la clause n’a pas pu être mentionnée dans la ou les notes d’informa­tion, les signataires doivent publier un communiqué précisant le contenu de cette clause dès la conclusion de l’accord (Règl. gén. AMF art. 231-5).

 

S’affranchir des contraintes légales

Le régime légal de certaines clauses statutaires apparaît contraignant. Les associés peuvent échap­per à ces contraintes en insérant ces clauses dans un pacte. Illustration par l’exemple.

Reprenons le cas des pactes conclus entre un groupe de « managers » et un groupe d’investisseurs (voir plus haut). Lorsque de tels pactes comportent des promesses de cession, par lesquelles un ou plusieurs associés « managers » s’engagent à céder leur par­ticipation aux associés du groupe des investisseurs dans certaines situations, ces promesses échappent, en cas de désaccord sur le prix de cession, à l’obli­gation de fixer celui-ci par un expert désigné, à défaut d’accord entre les parties, par le président du tribunal statuant en la forme des référés (voir C. civ. art. 1843-4). En effet, ce texte n’impose le recours à l’expert, hormis dans les cas où la loi le prévoit, que dans ceux où « les statuts » (et eux seuls) prévoient la cession de droits sociaux ou leur rachat par la société (art. 1843-4, II). D’où l’intérêt d’inscrire ces promesses dans un pacte plutôt que dans les statuts, ce qui permet de faire échapper la cession à l’aléa d’une expertise.

Les pactes par lesquels certains associés de société par actions accordent à d’autres des avantages (par exemple, prérogatives en ce qui concerne la gestion de la société ou les décisions collectives, telle une représentation plus importante dans les organes de direction) échappent à la procédure des avantages particuliers. En effet, celle-ci ne s’impose que si de tels avantages sont stipulés dans les statuts (C. com. art. L 225-14), la procédure tendant alors à permettre à l’ensemble des associés de mesurer la portée de l’avantage consenti à certains d’entre eux par le contrat de société. L’avantage accordé par tel groupe d’actionnaires à tel autre par le pacte n’entre pas dans le champ de cette procédure.

Certaines clauses, de par leur objet même, n’ont pas leur place dans les statuts, dont la vocation est de fixer les règles de fonctionnement de la société. Ces clauses, étrangères à ces règles, s’inscrivent naturel­lement dans un pacte.

Tel est par exemple le cas des clauses de non-concur­rence, par lesquelles certains signataires s’interdisent d’exercer des activités de même nature que celles de la société, voire d’acquérir des participations dans des sociétés concurrentes. Une telle clause doit être limitée dans le temps et dans l’espace et être propor­tionnée aux intérêts légitimes à protéger. Lorsqu’elle oblige un salarié, elle doit aussi comporter une contrepartie financière au profit de celui-ci.

Une convention de vote peut aussi se retrouver dans un pacte. Aux termes de celle-ci, les signataires du pacte ou certains d’entre eux s’engagent à voter dans un sens déterminé ou à ne pas participer au vote de tout ou partie des décisions collectives. En pratique, les conventions de vote s’appliquent aux décisions les plus importantes : choix des dirigeants, autorisation des dirigeants de réaliser certaines opérations, affec­tation des résultats, etc. Ces conventions sont, on le rappelle, licites pourvu que leur durée soit limitée et qu’elles ne conduisent pas à exprimer des votes contraires à l’intérêt social.

Les pactes peuvent aussi comporter des clauses qui ne pourraient pas être valablement stipulées dans les statuts, comme celles qui, dans les socié­tés anonymes, bouleversent la répartition légale des pouvoirs entre les organes sociaux (compétence de l’assemblée générale des actionnaires pour prendre les décisions collectives ordinaires ou extraordinaires, pouvoir du conseil d’administration de déterminer les orientations de l’activité de la société, etc.). Ainsi, une clause extra-statutaire soumettant à l’avis favo­rable d’un groupe d’actionnaires la prise de certaines décisions relevant de la compétence du conseil d’ad­ministration est licite car elle n’a d’incidence que sur les relations entre les parties et ne porte pas atteinte au principe de hiérarchie des pouvoirs (CA Aix-en-Provence 5-12-2003 n° 02-19692).

Dernier exemple : en cas de stipulation d’une clause d’inaliénabilité sur des actions dans les statuts d’une société par actions simplifiée, la durée d’inaliénabilité ne peut pas excéder dix ans (C. com. art. L 227-13), alors qu’aucune limite n’est fixée pour une clause extra-statutaire. Certes, cette durée doit être limitée dans le temps en raison de l’interdiction des enga­gements perpétuels, mais une période d’inaliénabilité supérieure à dix ans ne paraît pas inenvisageable si elle correspond à l’économie générale du pacte et à l’intérêt de la société. Il faut seulement que cette durée ne soit ni déraisonnable ni qu’elle aboutisse à rendre l’engagement perpétuel.

 

Le pacte peut être modifié par simple avenant, mais…

La souplesse avec laquelle le pacte peut être modifié constitue aussi un avantage par rapport à une modi­fication statutaire. En effet, un simple avenant suffit à en modifier tout ou partie des clauses, alors que la modification des statuts nécessite d’être approu­vée par une décision collective des associés, prise à l’issue d’une procédure de consultation lourde car impliquant en principe la réunion d’une assemblée générale extraordinaire.

Cet avantage doit être relativisé car la conclusion d’un avenant est soumise au consentement de toutes les parties au pacte. Le refus d’une seule d’entre elles d’y consentir, même s’il s’agit d’un associé très mino­ritaire, fait échec à la modification. À l’inverse, l’op­position d’un tel associé au vote d’un changement dans les statuts n’empêche pas celui-ci d’être adopté dès lors que le vote a recueilli la majorité prévue pour la modification statutaire. Les associés doivent avoir cette question présente à l’esprit au moment de sous­crire le pacte.

 

Remarque : Sécuriser la position des investisseurs

La position des investisseurs peut aussi être sécurisée par une promesse de cession que les managers (ou certains d’entre eux) leur consentent, les promettants s’engageant à céder leur participation aux investisseurs dans certaines situations (par exemple, en cas de cessation des fonctions des managers, qu’il s’agisse de leurs fonctions salariées ou de leur mandat social) moyennant un prix déterminé ou déterminable. Ces promesses sont licites car elles échappent à la prohibition des clauses léonines.

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